Compte rendu de la visite:
Pigalle: ses anciens cabarets
faite le mardi 22 mars 2016

Texte d'un de nos adhérents et photos de Mme Van De Valle

En passant la souris sur une illustration, vous verrez celle-ci s'agrandir.
Si vous utilisez une version ancienne de votre navigateur,
l'illustration gardera sa taille initiale.

 

PIGALLE, dans le 9ème arrondissement aujourd'hui, sept lettres préfigurant le plaisir, les bas fonds, le crime. Le nom de la Place est celui d'un sculpteur, Jean Baptiste PIGALLE (1714-1785).
 

René FALLET écrit "Pigalle ne se visite pas, il n'y a rien à voir ..le jet d'eau de sa place ne s'anime qu'au jour de l'Armistice."
 
Pigalle est situé sur le parcours de la "Nouvelle Athènes" (1820-1860) sur le prolongement de Notre Dame de Lorette, architecture néo-classique du 19ème siècle. Ce quartier évoque une période de liberté des élites intellectuelles, comédiens, écrivains, poètes, musiciens, peintres, caricaturistes, sculpteurs, tout un monde qui favorise les Arts. On y trouve de nombreuses maisons de divertissements fréquentées par l'Intelligentsia des années 1850-1920, Georges SAND, DELACROIX, CHOPIN, FLAUBERT....Nous sommes à l'emplacement de la barrière de Montmartre construite sur les fortifications qui protègent Paris, ponctuées d'octrois dont on peut encore découvrir les vestiges à la Nation, à la Villette, au parc Monceau, à Denfert-Rochereau (4 octrois restants sur 50). Ces barrières furent construites par les Fermiers Généraux sous Louis XVI pour renflouer les finances de l'Etat. Les Parisiens gagnaient la campagne, les champs, au delà de cette barrière et s'amusaient à Pigalle, limite de Paris et des champs agricoles. Durant la période 1780-1880, Pigalle abritait la Foire aux Modèles immortalisés sur les tableaux des grands peintres.
 
Au Café de la "NOUVELLE ATHENES" (actuel BIO), Manet, habitant à côté des Batignolles venait rencontrer les peintres RENOIR, PISSARO, GAUGUIN. Là, s'échangeaient des informations sur la vie, l'art, la politique..On y trouvait aussi attablés, TOULOUSE LAUTREC, MAUPASSANT et ZOLA qui lui, vivait à côté, rue de Bruxelles. Ce café est devenu le Monico, temple du tango.
 
Les serveurs en tenues de moines et moniales de "L'ABBAYE DE THELEME", au n°1 de la place, recevaient leur clientèle depuis l'époque de RABELAIS, le créateur de Gargantua. On venait y chercher la liberté, la devise de l'établissement étant : "ici fais ce que tu voudras". Cet établissement fut le siège de la kommandantur allemande pendant la seconde guerre mondiale.
 
A la place du Crédit Lyonnais, se situait le cabaret café PIGALLE qui prendra le nom de "RAT MORT" à cause d'un rat coincé dans la pompe à bière. Ce café accueillera régulièrement COURBET et toute la gente artistique : comédiens, peintres, poètes, écrivains, musiciens, sculpteurs. C'est sur le trottoir, devant cet établissement, que RIMBAUD taillada la cuisse de son amant VERLAINE au couteau, à la suite d'un excès d'absinthe. Il recommença un peu plus tard en voulant achever Rimbaud de deux coups de revolver.
Tous ces établissements comportaient à l'arrière une issue de secours utilisée lors des descentes de police.
 
Au coin de la rue Pigalle existait "LE SPHINX", construit dans un style pharaonien et pompier. Un portier, habillé comme un amiral, accueillait l'état major allemand qui venait s'y réjouir durant la guerre.
 
Plus bas, dans la rue Pigalle, au n° 62, un guitariste célèbre, DJANGO RHEINARDT, venait en voisin pour animer les soirées au cabaret "LA ROULOTTE", pendant l'occupation. Face au n° 77 rue Pigalle, "LES FOLIES PIGALLE", ex-atelier du peintre HENNER, présentaient un spectacle qui faisait fureur à l'époque : la stripteaseuse, Blanche Cavalli, montée sur un pur sang!
 
A côté, se tenait "l'OMNIBUS", établissement appelé précédemment "LE CANARD BOITEUX" dont la réputation de lieu de trafic de drogue en tous genres n'était déjà plus à faire à l'époque. Quand la police arrivait subitement, la drogue était administrée illico dans le cou du canard qui, "quand il n'avait pas sa dose", boitait.
 
La rue Blanche servait d'itinéraire pour accéder aux carrières de Montmartre d'où les traces de poudre blanche et son nom . Ce fut un quartier de sculpteurs jusqu'en 1880.
 
En descendant encore, nous sommes à l'emplacement de "LA LUNE ROUSSE" où se produisait le grand barde breton THEODORE BOTREL. Son patron était aussi le créateur du "BOEUF SUR LE TOIT".
 

Chez Moune

Plus loin, nous sommes devant le cabaret féminin "CHEZ MOUNE" dont le gérant était ROGER DUCHESNE représenté par le personnage du film "Bob le Flambeur", de JEAN-PIERRE MELVILLE. Dans cet établissement, autrefois appelé "L'HEURE BLEUE", sévissait le caïd PIERRE LOUTREL surnommé "Pierrot Le Fou" qui n'hésitait pas à exhiber son arme pour épater MARTINE CAROL. Au rez-de-chaussée, DITA PARLO et GINETTE LECLERC tenaient la vedette.
 
En se rapprochant de l'angle de la rue et de la place, se trouvait l'emplacement du "BAL TABARIN" à l'architecture art nouveau, tout en fer forgé. De 1904 à 1920, il s'animait de combats de boxe féminins et de fêtes joyeuses. En 1915, lorsque le "MOULIN ROUGE" brûla, le "BAL TABARIN" récupéra tous ses clients. A la réouverture du "MOULIN ROUGE" le patron racheta le "TABARIN" pour en faire un établissement ultra moderne pour l'époque. C'est dans cet établissement que l'on créa le Quadrille Naturaliste qui deviendra le "cancan".
 

Villa Frochot

Villa Frochot
Nous arrivons Avenue FROCHOT (premier préfet de la Seine) formant un angle avec la rue Victor MASSE, musicien, (1822-1884), où sont construites des habitations de grand standing, regroupées en lotissement, au milieu d'une végétation luxuriante, en bordure d'une allée pavée fermée par une grille en fer forgé monumentale.
Parmi les habitants de ce paradis, nous pouvons citer : TOULOUSE LAUTREC, ALEXANDRE DUMAS, AUGUSTE et JEAN RENOIR, DJANGO REINHART, REGINE CRESPIN, FRANCOIS TRUFFAUT, SYLVIE VARTAN, MATHIEU GALLET. Les demeures sont de style néo-Palladien, néo-Flamand, Renaissance.. Il y fut tourné des scènes de "Touchez pas au grisbi" dans les années 50.
 

Le Théatre en rond
Le Théâtre en rond, à l'angle, est fermé. Il est orné d'une fresque de style art nouveau, en pâte de verre décorée de fer forgé.
 
La rue Victor Massé s'appelait auparavant la rue de Laval-Montmorency du nom d'une Abbesse guillotinée à la Révolution qui était sourde et aveugle. Le texte de son procès est édifiant :
"La dernière abbesse, Marie Louise de Montmorency Laval fut arrêtée pendant la Révolution, internée à Saint-Lazare et guillotinée à la Barrière du Trône (Place de la Nation). Elle avait alors 71 ans et était depuis quelques années sourde, aveugle et paralysée. Elle fut traînée devant le Tribunal Révolutionnaire où Fouquier-Tinville, jamais à court d'esprit, l'accusa d'avoir comploté "sourdement et aveuglément". Il s'en est peut-être souvenu lorsqu'il fut accusé à son tour et guillotiné un an plus tard.
 
Le Cabaret "le Chat Noir", au 12 rue Victor Massé, fut dirigé par Jean Rodolphe de SALIS entre 1885-1896. La façade était une ouvre d'Art Pompier dont une partie, un chat noir peint, fut réalisée par l'illustrateur CARAN d'ACHE. Ce cabaret est le second cabaret "Le Chat Noir" car le premier sur le Boulevard Rochechouart était trop petit (15 mètres carrés). Le déménagement fut provoqué par l'insécurité des lieux car de nombreux crimes dus à l'excès d'absinthe y étaient perpétrés. Rue Victor Massé, l'établissement fonctionnait ainsi : au rez-de-chaussée, les clients s'alcoolisaient, au 1er étage, ils dansaient, au 2ème étage, ils regardaient un théâtre d'ombre actuellement conservé au musée du vieux Montmartre. L'ensemble des clients se surnommait "club des Hydropathes" et déclamaient poétiquement du Baudelaire pendant qu'ERIK SATIE jouait du piano. On y voyait le Prince de GALLES, Sarah BERNHARD, on y fustigeait les bourgeois, on y signait une pétition demandant la séparation de Montmartre et de l'Etat... On organisait des courses de charrettes à bras, on dégustait des maquereaux soit disant pêchés dans la fontaine Pigalle.
 

Cité Malesherbes
Cité Malesherbes, au n°11, l'immeuble fut décoré par Jules JOLLIVET, artiste et céramiste en émail bleu. Il a réalisé les dessins des vitraux et des céramiques à l'église Saint Vincent de Paul. Jules Jolivet faisait du théâtre avec la bande des amis de Georges SAND et réalisait les décors. Dans cette cité, nous découvrons, l'immeuble de l'ex-SFIO et celui de la Mutualité Française Ile de France.
 
Puis, Avenue Trudaine, nous passons devant le Lycée Jacques DECOURT où une plaque commémorative rappelle que l'on déporta d'ici 300 enfants juifs en 1941. Parmi les professeurs, MALLARME et BERGSON et parmi les élèves célèbres, on peut citer Georges COURTELINE, François TRUFFAUT, Louis MALLE, Edgard MORIN. Nous sommes dans l'ancien quartier de tous les petits abattoirs de Montmartre regroupés aux Halles de la Villette par le Baron Haussmann. Sur le Boulevard de ROCHECHOUART situé derrière le SQUARE D'ANVERS, on organisait annuellement des Vachalcades (courses de vaches) avec l'élection de "Miss BOEUFGRAS".
 
De cet endroit, nous avons une très belle perspective sur la Basilique du Sacré-Cour construite en 1871-1873. Sa construction, par souscription, suit la guerre de 1870. Le monument est déclaré d'utilité publique. Il s'inscrit dans le cadre d'un nouvel "ordre moral", faisant suite aux événements de la Commune de Paris.
 

L'Elysée Montmartre
Nous arrivons maintenant sur le Boulevard de Rochechouart face au théâtre "ELYSEE MONTMARTRE" qui vient d'être reconstruit après un incendie. A l'origine, c'était un bal populaire en plein air avec une salle de 1000 mètres carrés où se produisaient La Goulue, Grille d'Egout, Valentin le Désossé. L'établissement devint célèbre à l'arrivée de la Télévision car depuis ce lieu, on retransmit des matchs de catcheurs comme "l'Ange Blanc", "l'Homme Masqué", "le bourreau de Béthune" auxquels Lino Ventura participa.
 
Le premier cabaret du "CHAT NOIR" au 84 Boulevard de ROCHECHOUART employait, d'après la publicité d'époque, un portier en livrée qui accueillait les poètes et les artistes et repoussait les curés et les militaires. Aristide BRUAND et sa célèbre chanson "tout autour du chat noir" racheta l'établissement. Il y servait du champagne tiède, inondait les clients d'injures et rebaptisa l'établissement "LE MIRLITON".
 

La Cigalle
Sur le Boulevard, "La BOULE NOIRE" était dirigée par la maitresse de Marat. Il devint "LA CIGALE" puis un cinéma et enfin un music-hall, ce qu'il est toujours aujourd'hui.
 
Le cirque MEDRANO, ex-Fernando devint propriété de la famille BOUGLIONE en 1963. Dans le cirque Medrano se produisait Suzanne VALADON, écuyère, qui termina sa carrière en devenant une grande artiste peintre, compagne de Maurice Utrillo. Les clowns célèbres de l'époque furent Geronimo, Medrano, Foutis et Chocolat, Les Fratellini, Buster Keaton, et même à la fin des années 50, Fernand Raynaud. En 1973, le cirque fut démoli et remplacé par un immeuble d'habitation et de bureaux.
 

Madame Arthur
Chez "MADAME ARTHUR",75 rue des Martyrs, ex "DIVAN JAPONAIS", le patron était un colonel de la Commune, Maxime Lisbonne qui inventa le striptease en 1885. Là, se produisait YVETTE GUILBERT, diseuse et chanteuse.
 
La RUE DES MARTYRS fut baptisée de ce nom en l'honneur des premiers martyrs chrétiens dont le futur Saint Denis. Suite à son refus d'obéir au préfet romain des lieux, il fut jugé et décapité. L'histoire dit que Saint Denis mit alors la tête sous son bras et marcha jusqu'à ce qui devint la ville de Saint-Denis. En chemin, il lava sa tête dans une fontaine.
 

Chez MICHOU, temple du "transformisme".

 

Square André Gill
Un peu de verdure nous rafraîchit dans le Square André GILL, le caricaturiste, ancien communard qui dessina un lapin sortant d'une casserole pour le Lapin Agile (à GILL). Il fut enterré au Père Lachaise.
 
Face au Lapin Agile, Louis de Funès débuta comme pianiste de jazz dans un bar.
 

Les Bains douches
Nous arrivons dans le vieux Montmartre, anciennement couvert de champs et de vignes. Dans la Cité du Midi, on découvre les traces des anciens BAINS DOUCHES de Montmartre sur les faïences de la façade.
 
Aux "TROIS BAUDETS", Georges Brassens, Jacques Brel, Patachou et beaucoup d'autres artistes d'après guerre firent leurs débuts.
 
A l'emplacement de Monoprix, en face, au n° 53 Boulevard de Clichy, existait le cabaret "le CIEL ET l'ENFER", dont une entrée donnait sur le paradis et l'autre sur les chaudrons de l'enfer.
 
Au n° 2 rue Coustou, en face, se trouvait le cabaret "LE NEANT" où l'on consommait sur des cercueils, servis par du personnel costumé en squelette.
 
En 1898, le directeur des deux cabarets, Monsieur Antonin, proposait d'énormes quantités d'alcool amené par des chérubins équipés d'ailes en carton ou déguisés en Saint Pierre avec la clé autour du cou ou en Belzébuths qui criaient "entrez et soyez damnés". Des diables distribuaient du soi-disant jus d'extrait de pêche en fusion sorti directement d'un alambic mais, qui était en fait du "café cognac".
Au dessus, habitait André Breton qui s'habillait en pape et disait la messe aux "Surréalistes".
 
Rue Lepic, on aperçoit "le café des 2 Moulins" où fut tourné le film "Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain".
 
Place Blanche et à l'angle du Boulevard de Clichy, à la place des anciennes Folies Pigalle, on trouve aujourd'hui "Le MOULIN ROUGE". Avec ses ailes qui tournent depuis 1890, ce fut d'abord un Bal mal famé puis, deux directeurs, Joseph OLLER et Charles ZIDLER voulurent créer un lieu de plaisirs où l'on se rendait en habit comme sur les Grands Boulevards de Paris. Le spectacle de danse sur scène fit découvrir "Nini Patte en L'air", "Grille d'égout", "La Goulue", Jeanne AVRIL, qui attiraient les clients très riches. Dans ce lieu, l'écrivain Colette déclencha un scandale en se faisant déshabiller sur scène par sa compagne Missi. En 1892, Mistinguett s'y produisit ainsi que le Pétomane Joseph Pujol, un marseillais arrivé à Paris pour ses qualités "techniques". Il termina sa carrière comme boulanger après avoir fait du théâtre ambulant sur les routes de France pour faire profiter un public nombreux de ses facultés surprenantes.
 
La CHAPELLE SAINTE RITA, Madone des causes perdues, fait face au Moulin Rouge. On y pratiquait des mariages de force, des soins pour la petite vérole et pourquoi pas quelques miracles!
 
L'ex "TAVERNE DES TRUANDS" est devenue le THEATRE DES 2 ANES.
 
Nous passons devant Le CIMETIERE DE MONTMARTRE, avenue RACHEL, où sont enterrés BERLIOZ, Louis JOUVET, les frères GONCOURT, Sacha GUITRY et son Père, François TRUFFAUT, DALILA, Jean-Claude BRIALY près de la DAME aux CAMELIAS.
 

La cité Veron
Pour terminer, nous découvrons la CITE VERON où habitaient Boris VIAN et Jacques PREVERT sur le même palier de l'immeuble de droite, au fond. De leurs fenêtres, ils voyaient tourner les ailes du Moulin Rouge.
 
 
Cette journée fut très agréable, riche de découvertes historiques et d'anecdotes surprenantes.
  Fermer