Compte rendu de la sortie
à Milly-la-Forêt:

la maison de Jean Cocteau,
la chapelle St-Blaise-des-Simples,

et au château de Courances
faite le jeudi 15 mai 2014

Texte de Colette Van de Valle

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Courances Cocteau Blaise

 

Après une longue route encombrée par les embouteillages, nous arrivons enfin dans la campagne près de Milly-la-Forêt.
 Milly-la-Forêt: la maison de Jean Cocteau
   
Autoportrait en débourre-pipe
 
 
Le grand salon
 
 

Le bureau
 
 

La chambre
 
 
Dessin sur une plaque d'ardoise
 
 

"Les rêves sont la littérature du sommeil"
 
 

Portrait par Andy Warhol
 
 

Portrait par Bernard Buffet
 

Milly-la-Forêt, ville où se situe la maison " du Bailli ", refuge de Jean Cocteau de 1947 à sa mort en 1963. Ancien corps de logis des dépendances du château de la Bonde, cette sentinelle dresse ses deux tours de brique sur l'impasse de la rue du Lau. Une tour ruinée envahie de feuillages à l'angle des douves, un château sans style en fond de scène créent une scénographie en écho à l'entêtant goût de l'ailleurs du poète, les jardins et la présence de l'eau l'entourent d'une apaisante quiétude.
Au rez-de-chaussée, une grande quantité d'autoportraits, des masques, des effigies mystérieuses et inachevées semblent nous rendre le poète plus proche mais ce n'est qu'illusion comme dans les extraits du film "le sang d'un poète" projeté dans un coin de la salle. Une tête mobile, suspendue au plafond et fabriquée avec des débourre-pipes évoque l'oubli provoqué par l'opium que Cocteau a fumé après la mort de Raymond Radiguet. La trentaine de dessins de la série du "Mystère de Jean l'Oiseleur" est une descenteen lui-même pour le poète, il y scrute les métamorphoses de son visage dans le miroir. Quelques soient ses références expressionnistes ou surréalistes, Cocteau dessinateur n'arrive pas à être féroce, il cultive l'étrange certes mais ne réussit pas à inquiéter. Ses dessins racontent des histoires, ils sont parfois accompagnés de légendes laconiques souvent drôles. Dans ce registre humoristique, le Potomak décrit la confrontation entre les Mortimer, bourgeois assommants et les Eugène, perpétuellement affamés auxquels se joint le Potomak lui-même, monstre aquatique réfugié sous la Madeleine. Dans une salle suivante, une série de photographies évoque les moments de détente de Cocteau et de ses amis à Milly : Georges Auric, Jean Marais, Edouard Dermitt, Marlène Dietrich. Nous arrivons devant le grand salon, des double-rideaux rouges, un mobilier en bois sombre et un tapis aux motifs de feuillages imposants évoquent un décor de théâtre dans lequel errent d'élégants animaux : deux faons en bronze du XVIIIème siècle, un héron en métal et cuivre ciselé, une tête de bélier naturalisée ornée d'argent et de cristal de roche. Un dessin de Christian Bérard à la mine de plomb et au pastel "œdipe et le sphinx jouant aux cartes", encadré par deux palmiers en laiton et cuivre éclaire l'ensemble de la pièce.
à l'étage, nous découvrons le bureau et la chambre de Jean Cocteau. Sur les murs du bureau, un papier peint aux motifs peau de léopard campe le décor d'un endroit où Cocteau a accumulé des objets de diverses provenances : cadeaux, souvenirs, mobiliers provenant de la boutique de Madeleine Castaing. Sur le tableau noir sont accrochées pêle-mêle une photographie d'Orson Welles en Othello, une autre de Radiguet, une autre encore de Picasso et de Sartre. Suspendus de part et d'autre, un "Portrait de Charles Baudelaire d'après Nadar" par Manet, des banderilles et épars sur la table, le buste de Byron, un clap de cinéma miniature pour les "Parents terribles". Devant le bureau de travail face à la fenêtre se tient un fauteuil cathédral du XIXème siècle à motif néo-gothique, à côté, un fauteuil bas à l'assise recouverte de peau de bête est surmonté d'un assemblage de cornes de buffle. Sur la cheminée, des poteries et bustes antiques, au-dessus, un haut-relief figurant une montgolfière prise dans la tempête, un portrait de jeune fille d'Amaury-Duval de 1867….Quelques beaux objets décorent la chambre: un buste de nègre enfant du XIXème siècle en ébène et albâtre, derrière le lit à baldaquin, un buste antique en marbre d'époque gallo-romaine, sur la cheminée. Sur les murs se déroule une fresque attribuée à Jean Marais. Les amis, Picasso, Edith Piaf, Charlie Chaplin, Apollinaire, Paul Eluard, Max Jacob revivent au travers de photographies ou de dessins réalisés par Cocteau. L'intérêt que l'écrivain porte à la mode est révélé par quelques esquisses pour Harper's bazaar, une étude de chapeau turban ainsi qu'un portrait de Coco Chanel.
Un espace d'exposition retrace la carrière artistique de Jean Cocteau en mettant en valeur la multiplicité de ses talents.
Son enfance est bercée par des réceptions musicales organisées par son grand-père, il découvre la magie et les illusions du spectacle, s'émerveille au cirque et aux divertissements du Châtelet. Des rencontres, notamment avec Dargelos et le comédien Edouard De Max inspirent les personnages de ses romans. Marcel Proust et Anna de Noailles influencent fortement sa personnalité littéraire.
En 1913, la création du ballet "le Sacre du printemps" de Stravinsky est une telle révélation pour Cocteau qu'il se met en tête de monter un ballet "Parade" pour impressionner Serge Diaghilev. à l'aube de la première guerre mondiale, Cocteau fait du journalisme, écriture et dessin dans un hebdomadaire appelé "le Mot". Son roman "Thomas l'imposteur" est né de cette guerre, tous les thèmes de l'écrivain sont en germe dans cette œuvre : le dépassement de soi, la réflexion sur la mort et le suicide, sur l'amour, la révélation de soi, avec par-dessus tout, la question du mensonge perçu comme seul révélateur poétique.
L'opium encourage Cocteau à mêler le dessin et la poésie. "La poétique de l'opium" est liée aux associations d'idées, à certains fonctionnements de l'esprit mais aussi à un certain rapport au corps : le corps souffre et dans la douleur quelque chose surgit. Cocteau a exploité l'opium, dans ses dessins de "Maison de santé" ou dans des textes tels que "Journal de désintoxication".
Séduit précocement par le cinématographe, Cocteau souhaite que des artistes exploitent la perspective, le ralentissement, l'accélération, la marche à l'envers, tout ce monde inconnu sur lequel un hasard entrouvre la porte. Avec "le sang d'un poète", Cocteau est le premier écrivain français à faire le grand saut pour tenir une caméra. "La Belle et la Bête" est une adaptation d'un conte popularisé en France par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont en 1758. Il eut un grand succès, contribua à imposer son réalisateur comme un cinéaste de talent et fit passer Jean Marais du statut de jeune premier au rang de star. Dans "Orphée", le poète tente de conquérir la jeunesse en se voilant et se dévoilant sous les traits d'un Orphée moderne. "Les Enfants terribles" racontent la relation incestueuse d'un frère et d'une sœur dont le monde se concentre en une chambre et deux lits. Initier le spectateur au mystère de sa poésie et lui communiquer la surprise, la peur et l'excitation que les anciens éprouvaient dans le temple de la Sybille de Cumes sont les enjeux de Cocteau dans "le Testament d'Orphée" de 1960.
Le spectacle constitue une attirance irrépressible pour Cocteau. Sa prose engendre les images, ses images fondent un langage et son style d'écriture est musical. Tout l'amenait naturellement au théâtre. En 1923 s'ouvre la longue série des œuvres théâtrales avec "Roméo et Juliette"; "œdipe roi" et "Antigone" puis "Orphée" se succèdent.
La musique change le statut de Cocteau qui passe des salons de la rive droite aux ateliers d'artistes de la rive gauche, le "prince frivole" se mue en "évangéliste de l'avant-garde". "Le coq et l'arlequin " chante les vertus du cirque et du music-hall, prône "une musique de tous les jours", "une musique sur laquelle on marche". Un groupe de musiciens, "le groupe des six" auquel participe Cocteau qui y joue de la batterie se produit dans divers lieux à la mode de la capitale. Dans "les mariés de la Tour Eiffel " en 1921, la musique de scène est créée par " le groupe des six " dont c'est la dernière manifestation collective.
Dans la dernière salle, de grands peintres : Picasso, Modigliani, Delaunay, Andy Warhol et des photographes célèbres comme Man Ray nous livrent une série de portraits de Jean Cocteau.
Nous sortons de la maison en passant par le jardin, tentés par un arrêt sous la tonnelle aménagé en salon de thé mais Cocteau nous attend à la Chapelle Saint Blaise des Simples où il est enterré sous une dalle qui porte l'inscription : "Je reste avec vous".

 Milly-la-Forêt: la chapelle St-Blaise-des-Simples
   
Cette chapelle faisait partie d'une maladrerie placée sous le vocable de Saint-Blaise, construite au XIIème siècle pour soigner les lépreux par la prière mais surtout par les plantes médicinales appelées "Simples".
 
 
à l'aube du XVIIIème siècle, les bâtiments en ruine furent démolis, la chapelle seule resta comme un témoin des misères médiévales. à la fin des années 50, quelques personnalités de la ville conduites par le maire de Milly, Pierre Darbonne, eurent l'idée de réhabiliter la chapelle et de confier la restauration artistique des murs à Jean Cocteau.
 
 
Le poète résolut de lui rendre vie, pour le profit exclusif des œuvres sociales, philanthropiques et culturelles de la ville et choisit les Simples comme thème de décoration.
 
 
Deux splendides gentianes présentent les armes près de la porte d'entrée encadrée de feuilles de menthe de Milly. L'écusson M rend hommage à la menthe et à Milly. Au-dessus de la porte, deux vitraux dessinés par Jean Cocteau et plus haut, deux autres exécutés en cristaux taillés et offerts par Paul Becker. Tout autour sur les murs, courent la jusquiame, la belladone, la valériane, la guimauve, l'arnica, la renoncule, le colchique et l'aconit.
 
 
De part et d'autre de l'autel, des profils d'anges gardiens paraissent soutenir la grande composition supérieure représentant la Résurrection du Christ. Au fond de l'autel, dans un triangle qui rappelle la Sainte Trinité, le Christ aux épines, la tête penchée sur son bras souffre toutes les douleurs des hommes. La lumière pénètre dans la chapelle à travers des vitraux dessinés par le maître et exécutés par un verrier rhénan. Une châsse contenant les reliques de Saint Blaise est placée à côté d'une statue du Saint de facture récente. Sur une colonne de pierre, à droite de l'autel trône un remarquable buste de Cocteau, œuvre puissante et de grand caractère du sculpteur Arno Breker.
 
 
C'est dans cette chapelle où tout est simplicité et humilité, mais aussi douceur et beauté que Cocteau a choisi de reposer pour l'éternité aux côtés de son compagnon : Edouard Dermit décédé en 1995.
Le jardin des Simples
 
La chapelle
 
La Résurrection du Christ
 
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Décor de gentianes
 

La signature de Jean Cocteau
 
 
Après une courte promenade dans le jardin de la chapelle, nous nous dirigeons vers le restaurant "le Cygne" pour un agréable moment de détente avant de repartir pour le château de Courances.
 
 Le château de Courances
   
Le château
 
L'escalier en fer à cheval
 
Arabesques de buis
La grande pièce d'eau
 
Le château vu du parc
 
Le château
 
Le jardin japonais
 

Nous pénétrons dans le domaine de Courances par une allée remarquable plantée de 140 platanes datant de 1782. Le parc, d'une surprenante beauté, classique et romantique, historique et contemporaine, recèle  une atmosphère à la fois intime et grandiose. L'omniprésence des eaux "courantes", du végétal et de la pierre dans ce paysage de 75 ha dont la création remonte au XVIème siècle constitue un spectacle unique. à travers l'esprit de Le Nôtre, le classicisme des Duchêne et l'intervention de Jean-Louis de Ganay,ce jardin de la Renaissance est devenu un jardin du XXème siècle. à Courances, quatorze sources jaillissent et se métamorphosent en de nombreuses pièces d'eau alimentées par un ingénieux système de contrôle des niveaux qui fait cracher " les gueulards ".

 
 

Comme toutes les demeures anciennes, le château de Courances raconte plusieurs histoires. De 1627 à 1628, construction du château, autour de 1760-1770, transformation et mise au goût du jour, 1873-1876, grande restauration et remise en état, 1960-1965,dérestauration des toitures et des lucarnes, c'est l'état actuel. Sous Louis XIII, un parisien, Claude Gallard se fait construire une belle demeure d'un style sobre et d'une taille moyenne, l'intérieur est austère, le principal agrément du domaine est son jardin d'eau. Sous Louis XV, les propriétaires, les Potier de Novion et les Nicolay, de meilleure noblesse, modernisent le château en augmentant les fenêtres, en réaménageant les appartements où apparaissent cheminées de marbre et boiseries, ils posent une grille à l'entrée de la cour pour libérer la vue sur l'allée d'honneur. Au début de la troisième république, Courances est acheté par un riche banquier suisse, Samuel de Haber qui fait restaurer le château de fond en comble. Les façades se couvrent de briques, le jeu polychrome avec le grès et les ardoises rappelle la place des Vosges. Un grand escalier en fer à cheval sur la cour, directement inspiré par celui de Fontainebleau, vient rappeler la région mais encore la grande architecture royale. Dans les intérieurs se mêlent les différentes époques des arts décoratifs français : vestibule de marbre dans le goût du premier Versailles, salon et chambres Louis XV (avec le confort moderne). Passé par alliance dans la famille de Ganay, d'ancienne et illustre noblesse, le château subit, après la deuxième guerre mondiale, une nouvelle mutation qui s'explique par le désir de revenir à plus d'authenticité et par le désamour des lourdes restaurations du XIXème. En particulier, la toiture est allégée de ses lucarnes et de ses ornements en plomb, elle prend son allure actuelle, plus sobre.

 
 

A l'intérieur du château, nous parcourons quelques pièces ouvertes au public dans lesquelles de nombreux témoignages de la manière de vivre des propriétaires actuels retiennent notre attention : une collection de photographies des hôtes célèbres de la famille, une fresque moderne dans le grand salon représentant les cinq frères de Ganay, la salle à manger devenue plus intime avec ses quatre tables rondes et plus claire avec le percement de nouvelles fenêtres. Dans la galerie des singes, trois tapisseries mettent en scène ces animaux occupés à se divertir, la chapelle suit, elle est recouverte de magnifiques boiseries du XVIIIème siècle, on y célèbre encore très souvent les baptêmes des enfants de la famille.

 
 

En sortant du château, nous allons admirer le jardin japonais créé par Berthe de Ganay, la grand-mère des propriétaires actuels. La recherche dans ce jardin porte sur la couleur, la forme et la texture des feuillages et des écorces plutôt que sur les fleurs.

 
La journée se termine mais nous repartons, séduits par le charme étrange de Jean Cocteau dans son refuge de Milly, apaisés par la douce simplicité de la Chapelle et admiratifs devant l'harmonie du château de Courances serti entre ses miroirs d'eau et de verdure.
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